Certains chantent déjà, d'autres pas, mais à 75 jours de la réouverture de Notre-Dame de Paris, compagnons et ouvriers du chantier de restauration, veulent lui ofrir un tube du répertoire choral: "le Cantique de Jean Racine" de Gabriel Fauré qu'ils répètent assidument depuis des mois.
"Comment résister à une telle proposition ? C'est magnifique !", commente tout sourire Nathan Degrange-Roncier, tailleur de pierres, appliqué à relire les partitions de Fauré qu'il interprètera avec ses compagnons le 11 décembre à Notre-Dame lors d'une messe dans le cadre des cérémonies de réouverture.
Pour ce choriste expérimenté de 32 ans, qui répète avec ses compagnons à la Sorbonne, ce "choeur des bâtisseurs concrétise le travail de toutes les équipes pendant des mois". C'est une chimiste au pôle peinture murale et polychromie du laboratoire de recherche des monuments historiques, Stéphanie Duchêne, et sa collègue Dorothée Chaoui-Derieux, qui en ont eu l'idée, accueillie avec enthousiasme.
"J'ai lancé une bouteille à la mer en novembre il y a deux ans et j'ai reçu une centaine de messages de restaurateurs, artisans, compagnons, agents de la sécurité ou de la logistique, archéologues qui m'ont dit adorer l'idée et vouloir en faire partie", raconte Mme Duchêne.
Certains ont dû partir depuis mais "il en reste quand même plus de 80 dans le choeur", se réjouit-elle.
"Point d'orgue"
Comme d'autres, elle dit avoir "un petit pincement au coeur" à l'idée que le chantier s'arrête, après cinq ans de labeur pour redonner progressivement toute sa beauté au chef d'oeuvre de l'art gothique, ravagé par un gigantesque incendie le 15 avril 2019.
"Tous ces gens de corps de métiers si diférents qu'on a côtoyés, et qu'on ne côtoie jamais d'habitude parce qu'on travaille en silo, toute cette ambiance, cette fourmilière, on va la regretter un peu"
Chanter ensemble permet de "prolonger le chantier" et les "amitiés" qui s'y sont nouées, soulignent plusieurs participants. Emma Groult, maître-verrier de 38 ans, décrit sa "joie" d'avoir oeuvré à la restauration de certains vitraux.
Aucun d'entre eux n'a été cassé durant l'incendie mais tous étaient "très encrassés", racontet-elle. Elle se souvient avec émotion de la première fois où elle est entrée dans la cathédrale, "une semaine après l'incendie, sans savoir ce qu'on allait trouver". Le choeur , dit-elle, est comme "le point d'orgue" du chantier et d'un "travail humain très fort".
Nathan Degrange-Roncier raconte un "moment extraordinaire", celui où les facteurs d'orgue l'ont laissé "jouer quelques instants", en tenue de chantier. Compagnon charpentier depuis 24 ans, Romain Renaud porte fièrement l'écusson de ce savoir-faire d'excellence sur son polo. Il a travaillé sur "la flèche, la nef, le choeur et les befrois" de Notre-Dame, "un chantier exceptionnel pour lequel il a tout donné".
Chantant régulièrement à l'église et chez les compagnons où cette pratique rythme le quotidien, il "ne voulait pas rater cette expérience". "C'est un chantier qui restera gravé dans nos mémoires, nous les ouvriers, parce que non seulement on travaille pour la mère des cathédrales mais on s'inscrit aussi dans le pas des bâtisseurs qui nous ont précédés", ajoute-til.
Humour
Dans l'amphithéâtre où tous ont pris place, les voix des sopranos, alti, ténors et basses montent à l'unisson ou par séquences, entrecoupées d'éclats de rire. Concentrés, certains ferment les yeux et poussent la voix avec ferveur, d'autres battent la mesure.
"J'ai une bonne nouvelle ! C'est de mieux en mieux !", lance Frédéric Pineau, chef de ce choeur inédit, qui en dirige d'autres, amateurs, dont celui de la Sorbonne. "Là on ne respire plus ! Débrouillez-vous !", poursuit-il avec humour du haut de sa grande taille.
Ses mouvements de bras et ses mimiques accompagnent chaque reprise, sa voix guidant les groupes et passant avec aisance des tonalités les plus graves aux plus aiguës. "De l'exigence", certes, mais "on n'est pas là pour se faire engueuler!
L'humour apporte une légèreté et une envie qui fait boule de neige, tout le monde est heureux d'être heureux", dit-il, admiratifs devant ceux "qui ont décidé de faire du beau autrement dans un art qui n'est pas le leur"
La Rédaction avec l'AFP
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